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Les proches aidants, ces héros méconnus

Au cours de leur vie,  jusqu’à un Canadien sur quatre seront le proches aidant d’un ami ou d’un être cher. Et le gouvernement fédéral en fait bien peu pour les aider. 

Brian Hills a perdu son épouse de 46 années en quatre mois seulement, les plus durs de sa vie. C’est à leur retour de Cuba que sa Sam bien-aimée et lui ont appris le diagnostic de celle-ci : une troisième ronde de cancer du sein, et il était métastatique.

« Elle en était au stade quatre. [Le cancer] s’était propagé à son foie, à son cerveau, à ses os », explique M. Hills. 

Immédiatement après que Sam eut reçu ce diagnostic à glacer le sang le 14 mars 2017, Brian est devenu son principal proche aidant. Les deux venaient de prendre leur retraite — lui en tant que lieutenant dans la marine, elle en tant qu’assistante dentaire — et ils profitaient enfin d’un peu de temps pour voyager.

« Je me suis occupé d’elle pendant quatre mois avant que nous n’obtenions le lit de soins palliatifs », dit M. Hills.

Lorsqu’ils eurent ce lit, une des infirmières qui avait tout particulièrement fait preuve de gentillesse à son égard lui a dit qu’il pouvait alors redevenir un mari, et non plus un proche aidant. La situation représentait déjà alors un répit, mais savoir que quelqu’un d’autre avait reconnu son rôle lui valut un soulagement supplémentaire. Le 12 août 2017, Sam est décédée au centre de soins palliatifs.
 

Un Canadien sur quatre prend soin d’une personne

Comme Brian Hills l’a découvert, la proche aidance prend tout. Ce service inestimable que les membres de la famille offrent à leurs êtres chers est aussi un service au pays, car cela représente des milliards de dollars de travail non rémunéré. Ces proches aidants aident les gens à vivre leur quotidien à la maison, ce qui est d’ailleurs la préférence exprimée par la plupart des personnes âgées.

Le travail des proches aidants n’est pas toujours compris ni pleinement apprécié. Et il est à peine rémunéré financièrement, ce qui est un enjeu que l’Association nationale des retraités fédéraux (Retraités fédéraux) s’efforce de changer depuis des années. Le gouvernement fédéral offre actuellement le crédit d’impôt pour aidants naturels, un crédit non remboursable pour les personnes qui s’occupent de proches à charge ayant un handicap. Dans son mémoire sur le budget fédéral de 2024, Retraités fédéraux avait exhortait le gouvernement à augmenter la valeur de ce crédit d’impôt en le rendant remboursable, à investir dans des outils et des programmes pour aider les proches aidants, en particulier le million et demi de Canadiens (selon des données de Statistique Canada remontant à 2018) de plus de 65 ans qui prennent soin d’un membre de la famille ou d’un ami atteint d’une maladie chronique, de la maladie d’Alzheimer ou de démence. Toutefois, le budget de 2024 n'en a pas fait mention.

Le nombre total de proches aidants est encore plus élevé que cela. Statistique Canada a signalé que, en 2018, un Canadien sur quatre, plus exactement 7,8 millions de personnes, a déclaré avoir prodigué des soins à des membres de sa famille ou à des amis souffrant d’une affection de longue durée, d’un handicap physique ou mental ou de problèmes liés au vieillissement. Ce nombre aura augmenté depuis, alors que les premiers bébé-boumeurs qui sont septuagénaires entreront bientôt dans une autre décade. Et ces responsabilités, bien que partagées entre les hommes et les femmes, commencent par être plus élevées pour les femmes : 54 % des proches aidants sont des femmes et 64 % des proches aidants qui prodiguent plus de 20 heures de soins par semaine le sont aussi. En 2022, Statistique Canada a signalé que les proches aidants non rémunérés ont consacré une médiane de 8 heures par semaine à fournir des soins à des adultes souffrant de maladies de longue durée ou de handicaps, les femmes fournissant 10 heures de soins et les hommes 6 heures. Cependant, à mesure que nous vieillissons, les hommes âgés sont presque aussi susceptibles d’être des proches aidants que les femmes. Parmi les personnes âgées de 75 à 84 ans, par exemple, 22 % des hommes et 23 % des femmes avaient des responsabilités en matière de soins. Et, parmi les Canadiens âgés de 85 ans et plus, les hommes (17 %) étaient en fait plus susceptibles d’être des proches aidants que les femmes (11 %). À titre comparatif, les femmes âgées de 45 à 54 ans (37 %) étaient plus susceptibles de fournir des soins que les hommes du même âge (29 %).

« La proche aidance n’est pas rémunérée et les personnes qui se chargent de ces soins font souvent face à des fardeaux financiers plus importants et à des niveaux de stress plus élevés », explique Sayward Montague, directrice de la défense des intérêts de Retraités fédéraux. « Les proches aidants ont besoin de soutien et méritent d’avoir de la formation, du mentorat par des pairs, une compensation financière et des possibilités de répit. »

À l’instar de Retraités fédéraux, le Centre canadien d’excellence pour les aidants a également demandé que le gouvernement rende le crédit d’impôt pour aidants naturels remboursable. James Janeiro, directeur des politiques et des relations gouvernementales du centre, mentionne que la lettre de mandat de la ministre des Finances Chrystia Freeland le stipule et que, pourtant, il ne l’est toujours pas.

« Cette conversion, de non remboursable à remboursable, se traduirait par un peu d’argent dans les poches des proches aidants d’aujourd’hui », dit M. Janeiro. « Si vous faites partie de la proportion de 20 % de proches aidants du pays qui gagnent moins de 20 000 $ par an, même le montant modeste de ce crédit peut faire la différence entre un voyage de plus à l’épicerie, ou non. Surtout à une époque où le coût de la vie augmente. »

Même si le système de soins de santé du Canada est souvent considéré comme enviable, le soutien aux proches aidants est un domaine dans lequel le Canada accuse du retard par rapport aux autres pays.

« Les proches aidants passent plus de 5,5 milliards d’heures par an à s’occuper des personnes au cours de leur vie », explique M. Janeiro, dont le centre soutient et habilite les proches aidants et les fournisseurs de soins (ces derniers occupant des postes rémunérés), revendique une politique sociale efficace et fait progresser les connaissances et les capacités sur le terrain. « Si on quantifiait [ce travail], cela reviendrait à environ 100 milliards de dollars par an. »

Comme Brian Hills et de nombreux membres de Retraités fédéraux comme lui l’ont découvert, la proche aidance a des répercussions physiques, émotionnelles, psychologiques et financières. Et elles sont particulièrement élevées pour ce qui est de la santé mentale.

« Un sondage mené en 2021 a montré que 87 % des proches aidants se sentaient seuls, et nous savons de plus en plus que chaque jour qui passe a un impact grave sur la santé d’une personne », explique M. Janeiro. « Près de 75 % ont déclaré une anxiété allant de modérée à élevée et près de 70 % ont signalé une détérioration de leur santé mentale [tandis que] la moitié ont mentionné une détérioration de leur santé physique. Donc, la situation n’est pas idéale et on peut faire beaucoup mieux. »

 

Suggestions d’amélioration

Les proches aidants qui sont encore sur le marché du travail ont tendance à travailler moins. Compte tenu de cela, le Centre canadien d’excellence pour les aidants affirme que l’une des mesures utiles que les employeurs pourraient prendre serait des politiques favorables aux proches aidants. De telles politiques donneraient de la souplesse si un employé avait besoin de quelques heures au milieu de la journée pour emmener un parent ou un conjoint à un rendez-vous, par exemple, ou même un congé prolongé en cas d’urgence.

Autre point important à améliorer : les prestations offertes aux proches aidants par le régime d’assurance-emploi.

« Il y a un congé pour proche aidant conçu principalement pour les personnes qui s’occupent d’une personne en fin de vie », explique M. Janeiro. « Mais la paperasserie et les obstacles que vous devez surmonter pour l’obtenir sont colossaux. Il faut une éternité pour avoir une réponse. »

Il a entendu parler de nombreux cas où la personne que le demandeur allait soutenir est décédée avant d’obtenir sa réponse.

« Dans ces situations, la plupart des Canadiens feraient simplement ce qu’ils doivent faire, et perdraient peut-être même leur emploi », dit-il.

Enfin, M. Janeiro explique que son organisation demande au gouvernement fédéral de s’engager à élaborer une stratégie nationale pour les proches aidants qui « regrouperait tout cela dans un cadre unique ». Dans ce cas, le budget de 2024 en a tenu compte, indiquant que le gouvernement se pencherait sur l'élaboration d'une telle stratégie

Dans ce cas, le budget de 2024 en a tenu compte, indiquant que le gouvernement se pencherait sur l’élaboration d’une telle stratégie.

Guy Bird, ancien membre du conseil d’administration national de Retraités fédéraux et actuel président de la Section du centre de l’Okanagan, s’est occupé de sa femme atteinte de la maladie d’Alzheimer pendant 12 ans. Il aimerait voir une sorte de reconnaissance du fait que les proches aidants familiaux font « tout un sacré » travail.

Célyne Houde, qui veille sur ses deux parents de 93 ans — sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer, est dans un foyer de soins de longue durée et son père est dans une autre résidence pour retraités — lance que ses responsabilités étaient difficiles au début, mais « quand on sait qu’il y a des ressources et qu’on frappe aux bonnes portes, les choses se mettent en place ».

« Mais pour les trouver toutes, c’est du travail! », admet-elle.

Donald Howson, au centre, avec sa petite-fille, Joanna, son arrière-petite-fille, Nina, et son fils Geoff.
Donald Howson, au centre, avec sa petite-fille, Joanna, son arrière-petite-fille, Nina, et son fils Geoff.

Geoff Howson, qui s’est occupé de son père, Donald, après un accident vasculaire cérébral, affirme que les proches aidants peuvent également ressentir du stress lorsqu’un membre de la famille est dans un foyer de soins et manque d’argent.

« J’ai été coordonnateur des soins spirituels dans un établissement de soins de longue durée et j’ai vu des gens âgés manquer d’argent », précise M. Howson. « Ils devaient passer d’une chambre individuelle où ils avaient parfois de l’intimité à une chambre partagée par quatre personnes. C’est émotionnellement bouleversant pour n’importe qui. »

Même si toutes les situations de proche aidance ont des hauts et des bas, elles entraînent aussi des récompenses. Parfois, les choses vont aussi bien que possible. Une membre, qui souhaitait rester anonyme, signale avoir une mère qui comprend le travail de ses trois filles pour la représenter, parce qu’elle avait fait carrière dans les soins de santé, et que les trois filles vivent à proximité et sont toujours sur la même longueur d’onde en ce qui concerne leurs désirs pour leur mère.  

« C’est très facile d’aider notre mère et elle est toujours très, très reconnaissante », dit cette membre. « Elle n’arrête jamais de se vanter de nous à tout le monde. Elle leur dit toujours à quel point elle a de la chance d’avoir de si bonnes filles. C’est une personne exceptionnelle qu’il est très facile à aimer. »

Découvrez comment vous pouvez vous impliquer dans la campagne de Retraités fédéraux sur la proche aidance. Pour prendre connaissance des profils de quatre de nos membres qui ont été proches aidants, cliquez sur ce lien.

Jennifer Campbell est la rédactrice en chef des magazines Sage et Sage60.